Terre de mémoire est une nouvelle entreprise située en Loire Atlantique et dédiée à vous aider dans la valorisation de votre patrimoine que vous soyez une collectivité, une association, une entreprise ou même un particulier.
mercredi 9 décembre 2015
vendredi 20 novembre 2015
Lettres d’un poilu de Couffé : 2ème Régiment d'Artillerie Coloniale
Lettres d’un poilu de Couffé : souvenir de la guerre 14-18
Seules
quelques familles ont eut la chance de retrouver les lettres que leur aïeul
envoyait du front. Dans ces lettres se trouvent toute la vie et les pensées
qu’un poilu avait dans les tranchées. L’écriture était pour eux un réconfort,
« je suis content que tu m’écris
c’est la seule consolation » (lettre du 1er mars 1915),
cela leur permettait de garder contact avec leur famille et d’avoir des
nouvelles autres que celles du front. Louis fut l’un de ces soldats perdu dans
la multitude de ceux qui survivaient sur le champ de bataille.
Louis
a 33 ans quand la guerre éclate en 1914. Il est originaire de Couffé, une
petite commune de Loire Atlantique, non loin d’Ancenis. Il y habite avec sa
femme Louise et ses enfants Louis et Marie-Louise.
Le
14 novembre 1902, ce jeune homme de 20 ans, encore célibataire, quitte ses
parents pour aller faire son service militaire au sein du 28ème
Régiment d’Artillerie de Rennes comme 2ème canonnier servant (soldat
affecté à une pièce d’artillerie). Il y restera un an avant d’être démobilisé
et de retourner à Couffé.
Le CET des pluches (les éplucheurs de patates à l’armée), collection privée |
Quelques
années plus tard, en 1910, il épousa Louise dont il aura 2 enfants, Louis en
1911 et Marie Louise en 1913. Presqu’un an après la naissance de sa fille la
guerre éclata et il fut appelé sous les drapeaux comme des millions d’autres
hommes qu’ils soient français, britanniques, allemands… quand il reviendra ses
enfants auront bien grandi.
____________________________________________________________
La
guerre est déclarée
Le 28 juin 1914 l’archiduc
François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, est assassiné avec sa
femme à Sarajevo. Cet événement déclenchera, le 3 août 1914, un conflit mondial
qui durera 5 ans opposant deux camps, la Triple Entente (France, Royaume-Uni,
Russie) et la Triple Alliance (Allemagne, Empire austro-hongrois, Italie).
Déclarations
de guerre en 1914
- L'Autriche à la Serbie le 28 juillet, à la Russie le 5 août.
- L'Allemagne à la Russie le 1er août, à la France le 3 août, à la Belgique le 4 août.
- Le Royaume-Uni à l'Allemagne, le 4 août, à l'Autriche le 13 août.
- Le Japon à l'Allemagne le 23 août.
- La France et le Royaume-Uni à la Turquie le 3 novembre.
____________________________________________________________
Le
1er août 1914, l’ordre de mobilisation est donnée en France, Louis
reçoit le sien, ainsi il part laissant femme et enfants comme des millions
d’autres. Il part muni de son livret militaire dans lequel se trouvait son
fascicule de mobilisation. C'est grâce à ce document de 4 pages que chaque
homme savait exactement quoi faire une fois la mobilisation décrétée. Il
existait 5 couleurs de fascicule suivant le mode de transport ou le type
d’affectation, Louis, prenant le chemin de fer dut en recevoir un rose. L’acheminement
des soldats vers leur base de cantonnement se fit par le biais du chemin de fer
ou à pied, 2.7 millions de réservistes vont dire adieu à leur famille ne
sachant quand ils les reverront. Ils partent avec le sentiment d’avoir à
défendre leur pays et que la guerre sera courte. Le consentement de la population répond à la menace qui pèse sur la patrie,
sur le sol français et sur les familles. Dans une armée composée de jeunes
soldats et d’un grand nombre d'hommes mariés et pères de famille, la défense et
la protection des « siens », revêtent une importance capitale.
Archives nationales française |
Louis
est d’abord incorporé à l’artillerie divisionnaire puis au 2ème
Régiment d’Artillerie Coloniale (2ème RAC) et convoqué le 4 août à
Brest, notamment au fort de l’Ile Longue d’où il écrit à Louise. Il y décrit
les nombreux militaires qui sont cantonnés à Brest et qu’il voit « les navires cuirassers, les
contre-torpilleurs, les torpilleurs, les bateaux hôpitalles ». Certains
soldats n’ont pu se résoudre à abandonner leur famille, « un sergent d’infanterie qui est avec nous il
a amené sa femme et ses deux enfants », « un autre qui venait avec un enfant de 10 mois dans ses bras qu’il a
remis a l’hôpital et il a laissé sa femme morte à la maison » « l’on en voit de toutes les couleurs, chacun
raconte ses misères » (lettre du 22 juillet 1914).
____________________________________________________________
Le Port de Brest
Pendant la
Première Guerre mondiale, le port de Brest, loin du front, voit débarquer de
nombreuses troupes étrangères (russes, portugaises, américaines…) qui
rejoignent les lieux de combats. Le pays de Brest accueille les premières bases
aéronavales avec les débuts de l'aviation militaire.
L’Ile
Longue
Elle
se situe dans la rade de Brest sur la commune du Crozon et accueillera à partir
d’octobre 1914 un camp de prisonniers. Y seront enfermés essentiellement des
intellectuels et artistes allemands, autrichiens, hongrois, alsaciens et
lorrains. Les derniers prisonniers partiront en décembre 1919.
Construction
du camp sur l’ile 1914 (www.ilelongue14-18)
|
____________________________________________________________
Au
cours de son séjour à Brest, Louis passe probablement de l’artillerie
divisionnaire à la 22ème Batterie d’artillerie à pied du 2ème
RAC mais cela ne reste qu’une hypothèse toute fois les dates de garnison
correspondent. Il restera en cantonnement dans la ville jusqu’au 27 août 1914
où il est dirigé vers le Havre, autre grand port en France qui verra débarquer
les troupes alliées afin d’alimenter le front en hommes, « je te disais qu’on en voit du monde,
toujours ils arrivent des anglais, nous travaillons avec les américains ils
sont après leurs autos. » (Lettre du 1er septembre 1914).
Il y restera jusqu’au 1er juin 1915, date à laquelle il partira pour
le front. Durant toute la durée qu’il est au Havre il écrit quotidiennement ou
presque à sa femme afin de lui dépeindre ses journées à l’arrière du front. Durant
son séjour au Havre il ne semble pas passer son temps à nettoyer les « autos » il travaille dans les
champs et sur des chantiers et oui il faut bien remplacer tous ceux qui sont
partis se battre et donc les fermes avoisinant la ville font la demande de
soldats pour les aider. De plus il faut aussi travailler la terre pour pouvoir
nourrir l’armée : « aujourd’hui
arrivant de notre chantier je t’envoie cette carte pour te dire que le travail
est assez plaisant, l’on trouve le temps
moins long qu’à la ferme où nous étions ». (Lettre du 1er
septembre 1914). Pour le travail qu’il effectua à la ferme « le patron nous a dit qu’il nous donnerai 30 sous par jour c’est
mieux que de gagner 1 sous » (lettre du 30 mars 1915) Le peu d’argent
qu’il gagne lui sert pour ses frais courants ce qui évite à Louise de lui en
envoyer.
En
plus d’accueillir les troupes fraiches, la ville devient un grand hôpital pour
les blessés qui ne cessent d’arriver. « Les écoles au Havre et aux alentours, Rouen et bien d’autres villes les
plus rapprochés des opérations vont être évacués pour être transformer en
hôpital. Le Général Joffre demande cent milles lits de prêts pour le 15 mars
pour recevoir les blessés probables qu’il s’attend avoir, fort coup ça va être
terrible pour qu’il s’attend à cent mille blessés il faut compter autant de
morts que de familles en deuil. Quand on y pense ça donne à réfléchir, ceux qui
vont se trouver en première ligne vont prendre quelque chose. On veut soit
disant prendre l’offensive, ça veut dire les déloger de leur tranchées, je suis
encore heureux d’être dans ce régiment… » (Lettre du 1er
mars 1915). Les hommes qui reviendront chez eux ne le seront pas toujours
indemne, nombreux seront ceux qui reviendront mutilés. Dans sa lettre du 10 mai
1915 il parle du frère d’un de ses camarades qui « avait deux jambes de coupés et tu crois que ce n’est pas trop triste
vaudrait mieux la mort ce ne serait pas plus triste et combien d’autre, partout
c’est la misère chacun en a sa part. L’autre jour on en a décoré un qui avait un
bras et une jambe couper et un œil d’arracher… » En plus d’accueillir
des hommes, le port voit arriver du matériel notamment venus d’Amérique,
« nous travaillons toujours à nos
autos, il en vient tous les jours d’Amérique. »(Lettre du 29 décembre
1914)
Source
privée
|
Le
temps où Louis travaillait dans les champs prêt du Havre est désormais révolu,
le 1er juin 1915 il est affecté à l’armée active et part donc pour
le front. Sa batterie est dirigée en cantonnement vers Belfort, à 30km de la
ligne de front.
____________________________________________________________
Belfort
Dès
le 3 août 1914, Belfort, situé à 30km du front, est mis en état de siège et la
ville passe donc sous le contrôle de l’armée. Dès lors la population est
évacuée de la ville à l’exception de certains hommes. 20 à 25 000
personnes sont contraintes de partir, elles ne pourront revenir qu’à partir du
15 août 1915, époque à laquelle Louis y est stationné.
Évacuation
de Belfort en 1914
|
Durant
toute la guerre une garnison de 70 000 hommes environ vivront sur le dos
de la population, l’armée réquisitionnant nourriture, chevaux, ferme, matériel…
De
1914 à 1915 se trouvera entre autre stationné à Belfort des troupes de réserve
ou en repos comme le 235ème, 242ème, 371ème,
372ème, 35ème, 42ème, 171ème, et
172ème Régiment d’Infanterie, la 28ème Brigade
d’Infanterie, une partie du 2ème Régiment d’Artillerie dont la
batterie de Louis et la 11ème Dragons de la cavalerie.
Étant
juste à l’arrière des lignes, la ville, en plus de l’armée de cantonnement voit
arriver de nombreux blessés qui seront en partie soignés sur place. Les soldats
n’ont que peu de médicaments pour se soigner sur place. Parmi ces blessés
certains repartiront sur le front et d’autres plus gravement atteint seront
évacués vers des hôpitaux. C’est ainsi que les rues seront envahies
d’ambulances déchargeant et chargeant des blessés et faisant sans cesse des
allers-retours entre le front et l’arrière. Cette guerre sera une
« véritable boucherie ». Dès le début du conflit le nombre des
blessés est impressionnant que l'on ne peut tous les soigner. Ils étaient triés
et les médecins s'occupaient d'abord de ceux qui pouvaient retourner au combat
avant de prendre en charge les blessés plus important. Les mutilés furent
nombreux, on les surnomma les « gueules cassées » :
l'usage d'armes comme les shrapnels (obus à balles) ou les obus à haut pouvoir
explosif provoqua des dégâts considérables sur les corps humains. Jamais, comme
pendant la Première Guerre mondiale, les hommes revenus vivants n'ont été aussi
abîmés. À leur retour chez eux, il leur a fallu affronter le regard des civils.
Les gueules cassées ont le plus souvent été des objets de dégoût, malgré les
premiers progrès de la chirurgie réparatrice. En plus des médecins il y avait
de nombreuses infirmières, religieuses ou civils, qui prenaient soin des
malades ou qui accompagnaient les derniers moments de vie d’un soldat.
La
délégation des Gueules cassées à Versailles, le 28 juin 1919 (Historial de la
Grande Guerre de Péronne)
|
Le
personnel infirmier de l'hôpital auxiliaire n°105 de Belfort (Coll.
Musée du service de santé des armées, DR).
|
Hôpital
français 1914-1918
|
____________________________________________________________
À
la différence du Havre, à Belfort Louis ne travaille pas dans une ferme,
l’ambiance à changer il doit désormais s’entrainer pour le combat, à tous moments
il peut être envoyé se battre. Alors tous les jours « l’on fait la manœuvre de canons de toutes les sortes. Il y en a de 10
sortes, ce n’est pas facile de se rappeler de tout ça. » (lettre du 29
juillet 1915) « nous travaillons de
demi à demi, les soirs la moitié d’entre nous un soir et l’autre le soir
d’après jusqu’à temps que tout le matériel soit arrivé, c’est bien du travail
que de faire une guerre comme ça. La journée a été assez calme, aujourd’hui les
avions nous ont pas beaucoup déranger. Hier soir il y a un avion français qui a
partie faire sa visite sur les lignes allemandes. L’on le voyait faire sa
manœuvre, quand ils l’on aperçut les pruneaux ne manquant pas alentours de lui
mais il n’avait pas peur. L’on le voyait encadré dans les coups de canons mais
pour se moquer d’eux il faisait des tours et demi tour comme pour le dire tirer
toujours vous ne me tenez pas malgré la vive cannonade. Il a fait son parcours et
il n’a rien attrappé , c’est assez difficile a attrappé, on dit que celui là
c’est un aviateur très calé… » (lettre du 13 août 1915) Ce que Louis
décrit à sa femme sont les début de l’aviation dans la guerre, il se peut que
les exploits de cet aviateur soient ceux d’un pilote célèbre stationné à la
même période à Belfort, Adolphe Pégoud qui sera tué lors d’un duel aérien au
dessus de Petit Croix le 31 août 1915 soit juste quelques semaines après cette
lettre. Au début utilisé pour des missions de reconnaissance les avions furent
rapidement utilisés pour bombarder et pour les duels aériens. Si avant la
guerre ils n’étaient pas encore au point pour le combat, les avancés durant ses
5 ans seront très rapides au point d’en faire un atout indispensable à la fin
de la guerre.
Artillerie en 1914-1918
- Canon de 75 Modèle 1897
- Canon de 120 L Modèle 1878
- Canon de 138 mm Modèle 1910
- Obusier court de 155 mm à tir rapide « Rimailho »
- Canon de 155mm GPF
- Canon de 155 C modèle 1917 Schneider
- Canon de 155 L Modèle 1877
- Canon de 240 Modèle 1884
- Mortier de 220 Modèle 1880
- Mortier de 270 Modèle 1885
À
partir du mois de septembre plus aucune mention du lieu où Louis se trouve
n’apparait sur ses lettres, il semblerait qu’à partir de cette période il ait
rejoint, avec sa batterie, la région de Pontavert dans l’Aisne. « À présent l’on va en marche tous les jours.
Tous les matins de 6h à 1h et l’après-midi on nous emplois à faire des corvées
des revus dans une manière on n’est guère plus tranquille qu’au front mais on
est tout de même mieux. » (lettre du 23 octobre 1915) Cela ne fait
qu’un an que les hommes sont partis de chez eux et leur moral n’est pas des
plus heureux mentionne quelques fois Louis. « Quand donc que le beau jour de la paix arrivera. Je t’assure que ce
jour est réclamer souvent car on commence à en avoir assez de ce triste métier. »
(lettre du 23 octobre 1915) D’autres ont peur de devoir partir se battre
« Pierre il me dit qu’il a la
frousse de partir au front » (lettre du 29 décembre 1914). Ces hommes
qui doivent partir se battre savent parfaitement que le champ de bataille est
un lieu où ils risquent, dans le meilleur des cas, de revenir blessé voir même
mutilé pour certain et dans le pire des cas ils y mourront. Certain tenteront
même de déserter, quand ils seront rattrapés ils seront jugés soit à une peine
de prison soit à servir d’exemple et être fusillé, on parle alors des
« fusillés pour l’exemple ». Dans bien des cas ces soldats ne seront
coupables que d’avoir eu peur de mourir sur le champ de bataille. « Aujourd’hui il en a été condamné un pour 5 ans,
il avait déserté. Il est de notre batterie et en désertant il s’est fait
arrêter par une sentinelle a peut être 4km d’où nous sommes. Il lui on demandé
le mot et il cherchait à se sauver la sentinelle a tiré dessus, la balle l’a
attrapé dans le dos, il s’est baissé au coup et la balle lui a frangé les
reins, sa veste et sa chemise, il n’y au que la peau de frangée… On nous a lu
sa condamnation, il y avait 4 batteries en armes et lui à passer devant nous
pour montrer l’exemple, on en voit de toutes les manières, ensuite les
gendarmes l’ont pris et l’ont emmené où je n’en sais rien, il n’y a pas à faire
le rebelle. » (lettre du 10 juin 1916) Au total se sera 953 soldats français qui seront fusillés entre 1914 et
1918, dont 639 pour désobéissance militaire, 140 pour des faits de droit
commun, 127 pour espionnage et 47 pour motifs inconnus. (Le Monde, 27 octobre
2014, "Le nombre des fusillés de la Grande Guerre est revu à la
hausse")
En
ce début 1916 le front ne bouge pas dans le coin où se trouve Louis « l’on est toujours au même point ça n’avance
ni ça recule. Je ne comprends rien dans une guerre comme ça, aussi avec des
fortifications comme l’on fait ce n’est pas facile des 2 cotés de bouger de
place. » (lettre du 4 janvier 1916). Le temps est long pour les
soldats vivant dans les tranchés, « nous
faisons toujours le même travail » (lettre du 13 janvier 1916). Afin
de passer le temps ces hommes fabriquent divers objets avec ce qu’ils ont sous
la main du bois, des cartouches d’artillerie… Parmi les objets que Louis
fabriquera on aura des boutons en plomb qui devaient manquer à ses vêtements,
une bague pour sa femme ou encore 2 croix qu’il enverra à sa femme pour ses
enfants. « Je t’envoie un petit
colis ou sont les petites croix. Elles sont dans une petite boite d’allumette
et j’ai mis un journal a les enveloppées et j’ai cousu ça. Il y en a une qui
est un peu plus grande que l’autre tu la donneras à Louis. Je les ai percée tu
pourras leur mettre une petite chaine si tu en trouve. J’ai envi de te faire
une autre bague car celles que tu as ne sont pas très belles. »
(lettre du 17 avril 1916)
Le
6 mars 1916, Louis a changé de lieu de cantonnement il est alors basé dans une
batterie sur le front. « Je suis
toujours a gardé ma batterie, c’est toujours la même chose… Il tombe tous les
jours un peu de neige, nous sommes encore pas trop mal dans notre souterrain,
les rats ne manquent pas trop ils nous mangent tout. » (lettre du 6
mars 1916) La vie dans les tranchées est dure et encore plus en hiver. En plus
des rats qui mangeaient les maigres provisions des soldats s’ajoutait les poux,
la faim, la boue qui s’infiltrait partout et l’odeur des cadavres que l’on n’avait
pu enterrés. En juin le voilà à surveiller un bois mais la bataille fait rage, « défense de quitter le bois »
(lettre du 1er juin 1916), il fait de longue garde afin de
surveiller l’ennemi. Toute fois au vue de ce qu’il écrit il ne doit pas se
trouver au cœur de la bataille. Au cours de ce mois il est affecté à la
construction de batteries qui ne servent parfois « que 3 ou 4 jours » et qui peuvent atteindre plus de 200m pour
8 pièces d’artillerie et d’un « souterrain
à 3m en terre de profondeur, il y en a du travail à creuser et ce boyau fait
20m de long, nous en avons 4 ou 5 à faire comme ça et l’on peut en faire 2 à 3m
par jour… » (lettre du 19 juin 1916).
Construction
d'une batterie : les rondins sont placés dessus et dessous dans l'ondulation
des tôles pour une meilleure protection : [photographie de presse] / Agence
Meurisse, BNF
|
Durant
l’hiver 1916-1917 le temps est froid, humide et pluvieux, les soldats ont
« de la boue jusqu’aux genoux… nous
ne ressemblons qu’à de la boue » (lettre du 24 février 1917), le
matériel s’enlise et parfois ils en perdent lors de leur déplacement, la pluie et
la neige rendant les routes et chemins impraticables. La neige tombée durant
cet hiver là bloquera jusqu’à l’utilisation du matériel « hier matin nos pièces ne paraissaient plus
dans la neige car le vent l’avait emportée dans les trous et tout était plein… »
(lettre du 9 mars 1917) Sans parler du brouillard qui empêche la visibilité
« on ne voyait rien seulement à 500m
devant soi » (lettre du 9 mars 1917) D’ici la fin de la guerre Louis
changera probablement de lieu et construira certainement encore des batteries.
Durant
tout le conflit Louis aura la chance, dans la majorité des cas, d’être envoyé
dans des zones de combats plus ou moins calme ou à l’arrière de la première
ligne. Son métier semblait consister pour une grande partie à creuser des
batteries et des souterrains. Contrairement à d’autre il aura la chance de
revenir vivant de cet enfer, sans blessure mais non sans un certain traumatisme
des horreurs qu’il aura pu voir pendant ces 5 années de guerre.
____________________________________________________________
Enfin
la guerre est finie
Le
11 novembre 1918 la guerre prend fin, l’armistice est enfin signée. Les combats
cesseront à 11h et pourtant des hommes continus à mourir sur le champ de
bataille ou dans les hôpitaux, on estime à environ 500 000 le nombre de
soldats morts après la guerre des suites de blessures ou de maladie. Au cours de
ce conflit plus de 9 millions d’hommes, femmes et enfants mourront sans distinction
de nationalité, de sexe ou d’âge soit, en autre, 1.4 million de français, 2.04
million d’allemands, 850 000 anglais, 114 000 américains, 1.7 million
de russes et 1.5 million d’autrichiens et hongrois… En plus des morts, en Europe, au lendemain de la guerre, on compte
environ 6,5 millions d’invalides, dont près de 300 000 mutilés à 100
% : aveugles, amputés d'une ou des deux jambes, des bras, et blessés de la
face et/ou du crâne.
L'emploi massif des tirs
d'artillerie, des bombes, des grenades, associé au phénomène des tranchées où
la tête se trouve souvent la partie du corps la plus exposée ont multiplié le
nombre des blessés de la face et explique la gravité des blessures. Les progrès
de l'asepsie et les balbutiements de la chirurgie réparatrice permettront de
maintenir en vie des blessés qui n'avaient aucune chance de survivre lors des
conflits du 19ème siècle.
____________________________________________________________
Enfin
le 15 février 1919 Louis est mis en congé illimité de démobilisation et
rattaché comme 3ème échelon au n°44 dépôt démobilisateur de la 51ème
artillerie. N’étant pas libéré de l’armée il est affecté au 1er
Régiment d’Artillerie Coloniale le 10 août 1921 puis au 111ème
Régiment d’Artillerie Coloniale le 1er mars 1924. Il faudra attendre
le 10 novembre 1930 pour qu’il soit libéré de l’armée et rendu entièrement à la
vie civile.
____________________________________________________________
Le 2ème
Régiment d’Artillerie Coloniale : 22ème Batterie à pied
-
Du
6 au 28 août 1914 : Brest
-
Du
28 août 1914 au 12 juin 1915 : Havre
-
Du
14 juin 1915 au 17 août 1915 : Belfort
-
Du
20 septembre 1915 au 23 février 1916 : L’Aisne, région de Pontavert puis
du Bois de Beaumarais
-
Du
25 février au 29 juillet 1916 : Verdun
-
Du
29 juillet au 30 décembre 1916 : dépôt d’artillerie lourde à Lempire au
Bois
-
Du
5 au 14 janvier 1917 : Chapelle de Cormigny
-
Du
17 janvier au 19 avril 1917 : Soissons
-
Du
20 avril au 24 novembre 1917 : Ailette
-
Le
23 octobre 1917 : attaque de Malmaison
-
Le
21 décembre 1917 : Coucy le Château
-
Du
21 décembre 1917 au 27 février 1918 : le Chemin des Dames
-
Du
10 juin au 31 juillet 1918 : 2ème bataille de la Marne
-
Du
31 juillet au 11 novembre 1918 : Bar sur Seine
____________________________________________________________
Tout
au long de la guerre Louis ne cessera de prendre des nouvelles de sa famille et
d’écrire à sa femme comme à sa mère, son frère, son oncle ou des compagnons
éparpillés sur la ligne de front. Pourtant toutes ses lettres n’arriveront pas
à leur destinataire soit parce qu’elles se perdront et d’autres seront
confisquées par la censure « tu me
dis que tu ne les reçois pas toutes. Je t’ai pourtant écris le 8 et le 9
puisque je t’écris tous les jours mais il ne faut pas mettre grand-chose pour
qu’elles n’aillent pas » (lettre du 23 octobre 1915). Dans ses
nombreuses lettres on lit toute l’inquiétude qu’il a pour sa famille, du
travail dure que sa femme doit avoir aux champs, il semble se sentir coupable
de ne pas être là pour l’aider. « tu me diras si les petits ont bon appétit et
toi tu ne doit pas manquer de mal de tète avec tout ça mais soit tranquille à
mon sujet car je suis très bien pour le moment. » (lettre du 19
juillet 1915) Il sait que les hommes et les domestiques sont devenus moins
nombreux, dans une lettre du 29 décembre 1914 il lui dit : « il ne faut pas trop le maltraiter, au
contraire lui donner courage sar s’il nous laissait en plant que ferais tu. Tu
sais que les domestiques sont rares… ». « Parrain va être bien embêté s’il n’a point de valet, il ne doit guère
en avoir à gagé dans le pays » (lettre du 13 janvier 1916). Depuis le
début des hostilités l’arrière s’est organisé pour soutenir au mieux les hommes
partis se battre. Les femmes ont du remplacer les hommes dans bien des domaines
comme les usines, les fermes, les commerces, l’administration… il faut bien
ramener de l’argent pour nourrir la famille. Quand les hommes rentreront elles
abandonneront leur liberté pour retourner à leur vie de femme au foyer comme si
la guerre n’avait jamais existé.
Femmes
travaillant dans une industrie de munitions durant la première guerre mondiale,
Musée Impérial de la Guerre, Londres
|
Il
n’a, comme bien d’autres, que les photos pour se souvenir d’eux et supporter
cette guerre. « Hier soir j’ai reçu
tes photographies, ça m’a fait quelque chose quand je vous vois, faut pourtant
pas compter se voir tout de suite car malheureusement cette guerre n’est pas
fini à voir tout ça. » (lettre du 30 mars 1915) « Il n’y a seulement pas une minute dans le
jour que je ne songe pas à vous tous. » (lettre du 29 mai 1916) Les
quelques photos qu’ils emmènent ou que leur famille leur envoie sont un moyen
de ne pas oublier leur visage. Les hommes qui partent ne laissant derrière eux
personne à qui écrire ou ceux coupés de tous liens avec leurs proches pour
divers raisons pourront trouver en la personne de la marraine de guerre
quelqu’un à qui écrire et se confier. Ces femmes leur apporteront un grand
soutien, elles pourront même leur envoyer des colis et à partir de 1916 les
recevoir en permission, de ces échanges naitront de vrai liens affectifs dont
certains se solderont par un mariage après la guerre.
Afin de rassurer Louise il
précisera souvent qu’il est « en
bonne santé », qu’il ne l’oubliera jamais et qu’il l’a « désire ». Mais toutes les familles
ne reçoivent pas forcément des nouvelles régulières, certaines sont des
semaines voir des mois sans nouvelles et un jour une lettre arrive de nouveau
mais dans d’autres cas c’est un acte de décès que les familles reçoivent.
« Il y a un frère de un de mes
camarades qui a été 3 mois sans écrire, il le croyait aussi eux mort et il a
écrit l’autre jour, il y en a plusieurs comme ça… » (lettre du 30 mars
1915) La mère de Louis est sans nouvelles de son autre fils Pierre, « elle doit être bien en chagrin… mais faut
pas se désespérer avant de voir peut être qu’il est prisonnier ou qu’il ne peut
pas écrire, il y en a bien d’autre que sont plus longtemps sans nouvelles et
qui en reçoivent… » (lettre du 31 mars 2015) Mais Pierre ne reviendra
pas du front il sera tué en mars 1915 à Mesnil les Hurlus à l’âge de 27 ans.
Pour les soldats le temps se fait long, leur famille leur manque tous les jours
et les permissions sont rares. Louis n’en aura pas beaucoup durant les 4 ans
qu’il sera parti, il en parle régulièrement dans ses lettres. « Si j’avais eu seulement 4 jours de
permission j’aurais pu en couper un peu. Je ne suis pas prêt d’y aller … mais
on dit que les premiers vont partir mercredi prochain 4 août, il doit en partir
3 tous les jours ça n’ira pas vite sur 300 qu’on est dans la batterie… Voila un
an qu’on a pas vu sa chère petite famille sa nous semble un peu trop long »
(lettre du 29 juillet 1915). Le 13 août 1915 il ne sait toujours pas quand
viendra son tour pour une permission. Le 16 octobre 1915 « ce n’est pas encore mon tour j’irai sans
doute aussi moi mais quand je n’en sais rien… ». Le 13 janvier 1916
« voilà bientôt 18 mois »
qu’il n’a pas vu sa famille. Enfin à la fin février ou début mars 1916 il a eu
sa permission, il a retrouvé les siens mais pour peu de temps. A son retour il
faudra attendre encore de nombreux mois pour revoir les siens. Les permissions
sont rares et courtes, et les soldats qui retournent dans leur famille sont
souvent désagréablement surpris : à l'arrière, on ne connaît rien de leur
vie au front. Les poilus s'emportent contre les « embusqués », les
« planqués » qui sont parvenus à éviter le combat par des intrigues.
« Je vois tout le monde s’habituer à
la guerre et il se moque pas mal de ceux qui y sont mais nous autres un ne s’y
habitue pas si facilement que ça. Je voudrais bien voir ceux qui en mettent
tant dans leurs poches y venir faire un tour, ils ne craneraient pas tant comme
ils le font en ce moment. C’est ce que je m’étais apperçu un peu en permission
sur les raisonnements de plusieurs qui n’ont aucun des leurs aux dangers, ils
pensent en eux, la guerre peut durée pendant ce temps là l’on vend tout moitié plus
cher qu’en temps de paix. » (lettre du 6 mars 1916) « quel chance tout de même ceux qui sont
restés ils ne pensent guère aux autres… » (lettre du 23 octobre 1916)
Tout au long de
cette guerre les soldats français ne mangeront pas forcément à leur faim
contrairement aux soldats britanniques mieux lotis de ce cotés là. « Tu me demandes si l’on est bien nourrit dans
la ferme où nous allons, il y a des jours pour ça il y a d’autres que c’est maigre
un peu, beaucoup de beurre à tous les repas et comme boissons de la boitte
comme on fait chez nous, ça ne donne guère de force le vin… » (lettre
du 30 mars 1915) Grace aux colis que leur famille leur feront parvenir, les
petites douceurs de leur régions amélioreront leur quotidien. « J’ai reçu ton colis… il y avait du beurre et
du pâté, le beurre est encore bon mais le pâté n’est pas fameux, il était à
moitié perdu…Quand tu me renverras quelque chose, envoi moi du beurre c’est ça
qui se conserve le mieux et qui fait le plus de bénéfice et qu’on aime le mieux »
(lettre du 21 mars 1916). Les colis mettant plus ou moins longtemps à venir
certaines des denrées périssables n’étaient plus comestibles une fois que Louis
recevait ses colis. Louis tout au long de sa correspondance avec Louise lui
réclamera du beurre car il semble cher sur le front « j’en vois qui en achète aux environs de 5fr la livre, il n’est pas bon
marché. » (lettre du 25 août 1916) Certains recevaient aussi des
conserves ou des boites de biscuits et les colis étaient parfois complétés de
nécessaire de toilette ou de vêtements comme « des gilets de peau » et « des chaussettes »
(lettre du 10 mai 1915)
Sources
divers :
Archives
départementales de Loire Atlantique
Archives
Nationales
Bibliothèque
Nationale de France
Tapuscrit École de
l’Artillerie-transcription intégrale- Franck MUNT AOR 66-2015- Historique du 2ème
RAC
Correspondances de
guerre d’un poilu entre sa femme et lui
Inscription à :
Articles (Atom)