mercredi 9 décembre 2015

Un arbre généalogique pour Noël

C'est le moment de faire vos cadeaux de Noël, alors pour changer des cadeaux traditionnels offrez à vos proches l'histoire de votre famille.

 

vendredi 20 novembre 2015

Lettres d’un poilu de Couffé : 2ème Régiment d'Artillerie Coloniale



Lettres d’un poilu de Couffé : souvenir de la guerre 14-18

Seules quelques familles ont eut la chance de retrouver les lettres que leur aïeul envoyait du front. Dans ces lettres se trouvent toute la vie et les pensées qu’un poilu avait dans les tranchées. L’écriture était pour eux un réconfort, « je suis content que tu m’écris c’est la seule consolation » (lettre du 1er mars 1915), cela leur permettait de garder contact avec leur famille et d’avoir des nouvelles autres que celles du front. Louis fut l’un de ces soldats perdu dans la multitude de ceux qui survivaient sur le champ de bataille.

Louis a 33 ans quand la guerre éclate en 1914. Il est originaire de Couffé, une petite commune de Loire Atlantique, non loin d’Ancenis. Il y habite avec sa femme Louise et ses enfants Louis et Marie-Louise.
Le 14 novembre 1902, ce jeune homme de 20 ans, encore célibataire, quitte ses parents pour aller faire son service militaire au sein du 28ème Régiment d’Artillerie de Rennes comme 2ème canonnier servant (soldat affecté à une pièce d’artillerie). Il y restera un an avant d’être démobilisé et de retourner à Couffé.

Le CET des pluches (les éplucheurs de patates à l’armée), collection privée


Quelques années plus tard, en 1910, il épousa Louise dont il aura 2 enfants, Louis en 1911 et Marie Louise en 1913. Presqu’un an après la naissance de sa fille la guerre éclata et il fut appelé sous les drapeaux comme des millions d’autres hommes qu’ils soient français, britanniques, allemands… quand il reviendra ses enfants auront bien grandi.
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La guerre est déclarée

Le 28 juin 1914 l’archiduc François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, est assassiné avec sa femme à Sarajevo. Cet événement déclenchera, le 3 août 1914, un conflit mondial qui durera 5 ans opposant deux camps, la Triple Entente (France, Royaume-Uni, Russie) et la Triple Alliance (Allemagne, Empire austro-hongrois, Italie).
Déclarations de guerre en 1914
  • L'Autriche à la Serbie le 28 juillet, à la Russie le 5 août.
  • L'Allemagne à la Russie le 1er août, à la France le 3 août, à la Belgique le 4 août.
  • Le Royaume-Uni à l'Allemagne, le 4 août, à l'Autriche le 13 août.
  • Le Japon à l'Allemagne le 23 août.
  • La France et le Royaume-Uni à la Turquie le 3 novembre.
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Le 1er août 1914, l’ordre de mobilisation est donnée en France, Louis reçoit le sien, ainsi il part laissant femme et enfants comme des millions d’autres. Il part muni de son livret militaire dans lequel se trouvait son fascicule de mobilisation. C'est grâce à ce document de 4 pages que chaque homme savait exactement quoi faire une fois la mobilisation décrétée. Il existait 5 couleurs de fascicule suivant le mode de transport ou le type d’affectation, Louis, prenant le chemin de fer dut en recevoir un rose. L’acheminement des soldats vers leur base de cantonnement se fit par le biais du chemin de fer ou à pied, 2.7 millions de réservistes vont dire adieu à leur famille ne sachant quand ils les reverront. Ils partent avec le sentiment d’avoir à défendre leur pays et que la guerre sera courte. Le consentement de la population répond à la menace qui pèse sur la patrie, sur le sol français et sur les familles. Dans une armée composée de jeunes soldats et d’un grand nombre d'hommes mariés et pères de famille, la défense et la protection des « siens », revêtent une importance capitale. 

Archives nationales française


Louis est d’abord incorporé à l’artillerie divisionnaire puis au 2ème Régiment d’Artillerie Coloniale (2ème RAC) et convoqué le 4 août à Brest, notamment au fort de l’Ile Longue d’où il écrit à Louise. Il y décrit les nombreux militaires qui sont cantonnés à Brest et qu’il voit « les navires cuirassers, les contre-torpilleurs, les torpilleurs, les bateaux hôpitalles ». Certains soldats n’ont pu se résoudre à abandonner leur famille, « un sergent d’infanterie qui est avec nous il a amené sa femme et ses deux enfants », « un autre qui venait avec un enfant de 10 mois dans ses bras qu’il a remis a l’hôpital et il a laissé sa femme morte à la maison » « l’on en voit de toutes les couleurs, chacun raconte ses misères » (lettre du 22 juillet 1914).
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Le Port de Brest
Pendant la Première Guerre mondiale, le port de Brest, loin du front, voit débarquer de nombreuses troupes étrangères (russes, portugaises, américaines…) qui rejoignent les lieux de combats. Le pays de Brest accueille les premières bases aéronavales avec les débuts de l'aviation militaire. 

 

Troupes britanniques 1914


Troupes portugaises 1917

L’Ile Longue
Elle se situe dans la rade de Brest sur la commune du Crozon et accueillera à partir d’octobre 1914 un camp de prisonniers. Y seront enfermés essentiellement des intellectuels et artistes allemands, autrichiens, hongrois, alsaciens et lorrains. Les derniers prisonniers partiront en décembre 1919.


Construction du camp sur l’ile 1914 (www.ilelongue14-18)


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Au cours de son séjour à Brest, Louis passe probablement de l’artillerie divisionnaire à la 22ème Batterie d’artillerie à pied du 2ème RAC mais cela ne reste qu’une hypothèse toute fois les dates de garnison correspondent. Il restera en cantonnement dans la ville jusqu’au 27 août 1914 où il est dirigé vers le Havre, autre grand port en France qui verra débarquer les troupes alliées afin d’alimenter le front en hommes, « je te disais qu’on en voit du monde, toujours ils arrivent des anglais, nous travaillons avec les américains ils sont après leurs autos. » (Lettre du 1er septembre 1914). Il y restera jusqu’au 1er juin 1915, date à laquelle il partira pour le front. Durant toute la durée qu’il est au Havre il écrit quotidiennement ou presque à sa femme afin de lui dépeindre ses journées à l’arrière du front. Durant son séjour au Havre il ne semble pas passer son temps à nettoyer les « autos » il travaille dans les champs et sur des chantiers et oui il faut bien remplacer tous ceux qui sont partis se battre et donc les fermes avoisinant la ville font la demande de soldats pour les aider. De plus il faut aussi travailler la terre pour pouvoir nourrir l’armée : « aujourd’hui arrivant de notre chantier je t’envoie cette carte pour te dire que le travail est assez plaisant, l’on  trouve le temps moins long qu’à la ferme où nous étions ». (Lettre du 1er septembre 1914). Pour le travail qu’il effectua à la ferme « le patron nous a dit qu’il nous donnerai 30 sous par jour c’est mieux que de gagner 1 sous » (lettre du 30 mars 1915) Le peu d’argent qu’il gagne lui sert pour ses frais courants ce qui évite à Louise de lui en envoyer. 

En plus d’accueillir les troupes fraiches, la ville devient un grand hôpital pour les blessés qui ne cessent d’arriver. « Les écoles au Havre et aux alentours, Rouen et bien d’autres villes les plus rapprochés des opérations vont être évacués pour être transformer en hôpital. Le Général Joffre demande cent milles lits de prêts pour le 15 mars pour recevoir les blessés probables qu’il s’attend avoir, fort coup ça va être terrible pour qu’il s’attend à cent mille blessés il faut compter autant de morts que de familles en deuil. Quand on y pense ça donne à réfléchir, ceux qui vont se trouver en première ligne vont prendre quelque chose. On veut soit disant prendre l’offensive, ça veut dire les déloger de leur tranchées, je suis encore heureux d’être dans ce régiment… » (Lettre du 1er mars 1915). Les hommes qui reviendront chez eux ne le seront pas toujours indemne, nombreux seront ceux qui reviendront mutilés. Dans sa lettre du 10 mai 1915 il parle du frère d’un de ses camarades qui « avait deux jambes de coupés et tu crois que ce n’est pas trop triste vaudrait mieux la mort ce ne serait pas plus triste et combien d’autre, partout c’est la misère chacun en a sa part. L’autre jour on en a décoré un qui avait un bras et une jambe couper et un œil d’arracher… » En plus d’accueillir des hommes, le port voit arriver du matériel notamment venus d’Amérique, « nous travaillons toujours à nos autos, il en vient tous les jours d’Amérique. »(Lettre du 29 décembre 1914) 


Source privée

Le temps où Louis travaillait dans les champs prêt du Havre est désormais révolu, le 1er juin 1915 il est affecté à l’armée active et part donc pour le front. Sa batterie est dirigée en cantonnement vers Belfort, à 30km de la ligne de front.
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Belfort
Dès le 3 août 1914, Belfort, situé à 30km du front, est mis en état de siège et la ville passe donc sous le contrôle de l’armée. Dès lors la population est évacuée de la ville à l’exception de certains hommes. 20 à 25 000 personnes sont contraintes de partir, elles ne pourront revenir qu’à partir du 15 août 1915, époque à laquelle Louis y est stationné.


Évacuation de Belfort en 1914




Durant toute la guerre une garnison de 70 000 hommes environ vivront sur le dos de la population, l’armée réquisitionnant nourriture, chevaux, ferme, matériel…

De 1914 à 1915 se trouvera entre autre stationné à Belfort des troupes de réserve ou en repos comme le 235ème, 242ème, 371ème, 372ème, 35ème, 42ème, 171ème, et 172ème Régiment d’Infanterie, la 28ème Brigade d’Infanterie, une partie du 2ème Régiment d’Artillerie dont la batterie de Louis et la 11ème Dragons de la cavalerie.

Étant juste à l’arrière des lignes, la ville, en plus de l’armée de cantonnement voit arriver de nombreux blessés qui seront en partie soignés sur place. Les soldats n’ont que peu de médicaments pour se soigner sur place. Parmi ces blessés certains repartiront sur le front et d’autres plus gravement atteint seront évacués vers des hôpitaux. C’est ainsi que les rues seront envahies d’ambulances déchargeant et chargeant des blessés et faisant sans cesse des allers-retours entre le front et l’arrière. Cette guerre sera une « véritable boucherie ». Dès le début du conflit le nombre des blessés est impressionnant que l'on ne peut tous les soigner. Ils étaient triés et les médecins s'occupaient d'abord de ceux qui pouvaient retourner au combat avant de prendre en charge les blessés plus important. Les mutilés furent nombreux, on les surnomma les « gueules cassées » : l'usage d'armes comme les shrapnels (obus à balles) ou les obus à haut pouvoir explosif provoqua des dégâts considérables sur les corps humains. Jamais, comme pendant la Première Guerre mondiale, les hommes revenus vivants n'ont été aussi abîmés. À leur retour chez eux, il leur a fallu affronter le regard des civils. Les gueules cassées ont le plus souvent été des objets de dégoût, malgré les premiers progrès de la chirurgie réparatrice. En plus des médecins il y avait de nombreuses infirmières, religieuses ou civils, qui prenaient soin des malades ou qui accompagnaient les derniers moments de vie d’un soldat. 



La délégation des Gueules cassées à Versailles, le 28 juin 1919 (Historial de la Grande Guerre de Péronne)


Le personnel infirmier de l'hôpital auxiliaire n°105 de Belfort (Coll. Musée du service de santé des armées, DR).


Hôpital français 1914-1918
 

Nécessaire médical d’un soldat

Nécessaire médical d’un soldat



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À la différence du Havre, à Belfort Louis ne travaille pas dans une ferme, l’ambiance à changer il doit désormais s’entrainer pour le combat, à tous moments il peut être envoyé se battre. Alors tous les jours « l’on fait la manœuvre de canons de toutes les sortes. Il y en a de 10 sortes, ce n’est pas facile de se rappeler de tout ça. » (lettre du 29 juillet 1915) « nous travaillons de demi à demi, les soirs la moitié d’entre nous un soir et l’autre le soir d’après jusqu’à temps que tout le matériel soit arrivé, c’est bien du travail que de faire une guerre comme ça. La journée a été assez calme, aujourd’hui les avions nous ont pas beaucoup déranger. Hier soir il y a un avion français qui a partie faire sa visite sur les lignes allemandes. L’on le voyait faire sa manœuvre, quand ils l’on aperçut les pruneaux ne manquant pas alentours de lui mais il n’avait pas peur. L’on le voyait encadré dans les coups de canons mais pour se moquer d’eux il faisait des tours et demi tour comme pour le dire tirer toujours vous ne me tenez pas malgré la vive cannonade. Il a fait son parcours et il n’a rien attrappé , c’est assez difficile a attrappé, on dit que celui là c’est un aviateur très calé… » (lettre du 13 août 1915) Ce que Louis décrit à sa femme sont les début de l’aviation dans la guerre, il se peut que les exploits de cet aviateur soient ceux d’un pilote célèbre stationné à la même période à Belfort, Adolphe Pégoud qui sera tué lors d’un duel aérien au dessus de Petit Croix le 31 août 1915 soit juste quelques semaines après cette lettre. Au début utilisé pour des missions de reconnaissance les avions furent rapidement utilisés pour bombarder et pour les duels aériens. Si avant la guerre ils n’étaient pas encore au point pour le combat, les avancés durant ses 5 ans seront très rapides au point d’en faire un atout indispensable à la fin de la guerre.

Artillerie en 1914-1918

À partir du mois de septembre plus aucune mention du lieu où Louis se trouve n’apparait sur ses lettres, il semblerait qu’à partir de cette période il ait rejoint, avec sa batterie, la région de Pontavert dans l’Aisne. « À présent l’on va en marche tous les jours. Tous les matins de 6h à 1h et l’après-midi on nous emplois à faire des corvées des revus dans une manière on n’est guère plus tranquille qu’au front mais on est tout de même mieux. » (lettre du 23 octobre 1915) Cela ne fait qu’un an que les hommes sont partis de chez eux et leur moral n’est pas des plus heureux mentionne quelques fois Louis. « Quand donc que le beau jour de la paix arrivera. Je t’assure que ce jour est réclamer souvent car on commence à en avoir assez de ce triste métier. » (lettre du 23 octobre 1915) D’autres ont peur de devoir partir se battre « Pierre il me dit qu’il a la frousse de partir au front » (lettre du 29 décembre 1914). Ces hommes qui doivent partir se battre savent parfaitement que le champ de bataille est un lieu où ils risquent, dans le meilleur des cas, de revenir blessé voir même mutilé pour certain et dans le pire des cas ils y mourront. Certain tenteront même de déserter, quand ils seront rattrapés ils seront jugés soit à une peine de prison soit à servir d’exemple et être fusillé, on parle alors des « fusillés pour l’exemple ». Dans bien des cas ces soldats ne seront coupables que d’avoir eu peur de mourir sur le champ de bataille. «  Aujourd’hui il en a été condamné un pour 5 ans, il avait déserté. Il est de notre batterie et en désertant il s’est fait arrêter par une sentinelle a peut être 4km d’où nous sommes. Il lui on demandé le mot et il cherchait à se sauver la sentinelle a tiré dessus, la balle l’a attrapé dans le dos, il s’est baissé au coup et la balle lui a frangé les reins, sa veste et sa chemise, il n’y au que la peau de frangée… On nous a lu sa condamnation, il y avait 4 batteries en armes et lui à passer devant nous pour montrer l’exemple, on en voit de toutes les manières, ensuite les gendarmes l’ont pris et l’ont emmené où je n’en sais rien, il n’y a pas à faire le rebelle. » (lettre du 10 juin 1916) Au total se sera 953 soldats français qui seront fusillés entre 1914 et 1918, dont 639 pour désobéissance militaire, 140 pour des faits de droit commun, 127 pour espionnage et 47 pour motifs inconnus. (Le Monde, 27 octobre 2014, "Le nombre des fusillés de la Grande Guerre est revu à la hausse")




 

Poilus, collection privée
En ce début 1916 le front ne bouge pas dans le coin où se trouve Louis « l’on est toujours au même point ça n’avance ni ça recule. Je ne comprends rien dans une guerre comme ça, aussi avec des fortifications comme l’on fait ce n’est pas facile des 2 cotés de bouger de place. » (lettre du 4 janvier 1916). Le temps est long pour les soldats vivant dans les tranchés, « nous faisons toujours le même travail » (lettre du 13 janvier 1916). Afin de passer le temps ces hommes fabriquent divers objets avec ce qu’ils ont sous la main du bois, des cartouches d’artillerie… Parmi les objets que Louis fabriquera on aura des boutons en plomb qui devaient manquer à ses vêtements, une bague pour sa femme ou encore 2 croix qu’il enverra à sa femme pour ses enfants. « Je t’envoie un petit colis ou sont les petites croix. Elles sont dans une petite boite d’allumette et j’ai mis un journal a les enveloppées et j’ai cousu ça. Il y en a une qui est un peu plus grande que l’autre tu la donneras à Louis. Je les ai percée tu pourras leur mettre une petite chaine si tu en trouve. J’ai envi de te faire une autre bague car celles que tu as ne sont pas très belles. » (lettre du 17 avril 1916)
 

Boutons en plomb fabriqués par un poilu



Croix fabriquées par un poilu en 1916

Le 6 mars 1916, Louis a changé de lieu de cantonnement il est alors basé dans une batterie sur le front. « Je suis toujours a gardé ma batterie, c’est toujours la même chose… Il tombe tous les jours un peu de neige, nous sommes encore pas trop mal dans notre souterrain, les rats ne manquent pas trop ils nous mangent tout. » (lettre du 6 mars 1916) La vie dans les tranchées est dure et encore plus en hiver. En plus des rats qui mangeaient les maigres provisions des soldats s’ajoutait les poux, la faim, la boue qui s’infiltrait partout et l’odeur des cadavres que l’on n’avait pu enterrés. En juin le voilà à surveiller un bois mais la bataille fait rage, « défense de quitter le bois » (lettre du 1er juin 1916), il fait de longue garde afin de surveiller l’ennemi. Toute fois au vue de ce qu’il écrit il ne doit pas se trouver au cœur de la bataille. Au cours de ce mois il est affecté à la construction de batteries qui ne servent parfois « que 3 ou 4 jours » et qui peuvent atteindre plus de 200m pour 8 pièces d’artillerie et d’un « souterrain à 3m en terre de profondeur, il y en a du travail à creuser et ce boyau fait 20m de long, nous en avons 4 ou 5 à faire comme ça et l’on peut en faire 2 à 3m par jour… » (lettre du 19 juin 1916).
 

Construction d'une batterie : les rondins sont placés dessus et dessous dans l'ondulation des tôles pour une meilleure protection : [photographie de presse] / Agence Meurisse, BNF

Durant l’hiver 1916-1917 le temps est froid, humide et pluvieux, les soldats ont « de la boue jusqu’aux genoux… nous ne ressemblons qu’à de la boue » (lettre du 24 février 1917), le matériel s’enlise et parfois ils en perdent lors de leur déplacement, la pluie et la neige rendant les routes et chemins impraticables. La neige tombée durant cet hiver là bloquera jusqu’à l’utilisation du matériel « hier matin nos pièces ne paraissaient plus dans la neige car le vent l’avait emportée dans les trous et tout était plein… » (lettre du 9 mars 1917) Sans parler du brouillard qui empêche la visibilité « on ne voyait rien seulement à 500m devant soi » (lettre du 9 mars 1917) D’ici la fin de la guerre Louis changera probablement de lieu et construira certainement encore des batteries.

Durant tout le conflit Louis aura la chance, dans la majorité des cas, d’être envoyé dans des zones de combats plus ou moins calme ou à l’arrière de la première ligne. Son métier semblait consister pour une grande partie à creuser des batteries et des souterrains. Contrairement à d’autre il aura la chance de revenir vivant de cet enfer, sans blessure mais non sans un certain traumatisme des horreurs qu’il aura pu voir pendant ces 5 années de guerre. 
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Enfin la guerre est finie

Le 11 novembre 1918 la guerre prend fin, l’armistice est enfin signée. Les combats cesseront à 11h et pourtant des hommes continus à mourir sur le champ de bataille ou dans les hôpitaux, on estime à environ 500 000 le nombre de soldats morts après la guerre des suites de blessures ou de maladie. Au cours de ce conflit plus de 9 millions d’hommes, femmes et enfants mourront sans distinction de nationalité, de sexe ou d’âge soit, en autre, 1.4 million de français, 2.04 million d’allemands, 850 000 anglais, 114 000 américains, 1.7 million de russes et 1.5 million d’autrichiens et hongrois… En plus des morts, en Europe, au lendemain de la guerre, on compte environ 6,5 millions d’invalides, dont près de 300 000 mutilés à 100 % : aveugles, amputés d'une ou des deux jambes, des bras, et blessés de la face et/ou du crâne. L'emploi massif des tirs d'artillerie, des bombes, des grenades, associé au phénomène des tranchées où la tête se trouve souvent la partie du corps la plus exposée ont multiplié le nombre des blessés de la face et explique la gravité des blessures. Les progrès de l'asepsie et les balbutiements de la chirurgie réparatrice permettront de maintenir en vie des blessés qui n'avaient aucune chance de survivre lors des conflits du 19ème siècle.
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Enfin le 15 février 1919 Louis est mis en congé illimité de démobilisation et rattaché comme 3ème échelon au n°44 dépôt démobilisateur de la 51ème artillerie. N’étant pas libéré de l’armée il est affecté au 1er Régiment d’Artillerie Coloniale le 10 août 1921 puis au 111ème Régiment d’Artillerie Coloniale le 1er mars 1924. Il faudra attendre le 10 novembre 1930 pour qu’il soit libéré de l’armée et rendu entièrement à la vie civile.
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Le 2ème Régiment d’Artillerie Coloniale : 22ème Batterie à pied

-          Du 6 au 28 août 1914 : Brest
-          Du 28 août 1914 au 12 juin 1915 : Havre
-          Du 14 juin 1915 au 17 août 1915 : Belfort
-          Du 20 septembre 1915 au 23 février 1916 : L’Aisne, région de Pontavert puis du Bois de Beaumarais
-          Du 25 février au 29 juillet 1916 : Verdun
-          Du 29 juillet au 30 décembre 1916 : dépôt d’artillerie lourde à Lempire au Bois
-          Du 5 au 14 janvier 1917 : Chapelle de Cormigny
-          Du 17 janvier au 19 avril 1917 : Soissons
-          Du 20 avril au 24 novembre 1917 : Ailette
-          Le 23 octobre 1917 : attaque de Malmaison
-          Le 21 décembre 1917 : Coucy le Château
-          Du 21 décembre 1917 au 27 février 1918 : le Chemin des Dames
-          Du 10 juin au 31 juillet 1918 : 2ème bataille de la Marne
-          Du 31 juillet au 11 novembre 1918 : Bar sur Seine
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Tout au long de la guerre Louis ne cessera de prendre des nouvelles de sa famille et d’écrire à sa femme comme à sa mère, son frère, son oncle ou des compagnons éparpillés sur la ligne de front. Pourtant toutes ses lettres n’arriveront pas à leur destinataire soit parce qu’elles se perdront et d’autres seront confisquées par la censure « tu me dis que tu ne les reçois pas toutes. Je t’ai pourtant écris le 8 et le 9 puisque je t’écris tous les jours mais il ne faut pas mettre grand-chose pour qu’elles n’aillent pas » (lettre du 23 octobre 1915). Dans ses nombreuses lettres on lit toute l’inquiétude qu’il a pour sa famille, du travail dure que sa femme doit avoir aux champs, il semble se sentir coupable de ne pas être là pour l’aider.  « tu me diras si les petits ont bon appétit et toi tu ne doit pas manquer de mal de tète avec tout ça mais soit tranquille à mon sujet car je suis très bien pour le moment. » (lettre du 19 juillet 1915) Il sait que les hommes et les domestiques sont devenus moins nombreux, dans une lettre du 29 décembre 1914 il lui dit : «  il ne faut pas trop le maltraiter, au contraire lui donner courage sar s’il nous laissait en plant que ferais tu. Tu sais que les domestiques sont rares… ». « Parrain va être bien embêté s’il n’a point de valet, il ne doit guère en avoir à gagé dans le pays » (lettre du 13 janvier 1916). Depuis le début des hostilités l’arrière s’est organisé pour soutenir au mieux les hommes partis se battre. Les femmes ont du remplacer les hommes dans bien des domaines comme les usines, les fermes, les commerces, l’administration… il faut bien ramener de l’argent pour nourrir la famille. Quand les hommes rentreront elles abandonneront leur liberté pour retourner à leur vie de femme au foyer comme si la guerre n’avait jamais existé.


Femmes travaillant dans une industrie de munitions durant la première guerre mondiale, Musée Impérial de la Guerre, Londres



Il n’a, comme bien d’autres, que les photos pour se souvenir d’eux et supporter cette guerre. « Hier soir j’ai reçu tes photographies, ça m’a fait quelque chose quand je vous vois, faut pourtant pas compter se voir tout de suite car malheureusement cette guerre n’est pas fini à voir tout ça. » (lettre du 30 mars 1915) « Il n’y a seulement pas une minute dans le jour que je ne songe pas à vous tous. » (lettre du 29 mai 1916) Les quelques photos qu’ils emmènent ou que leur famille leur envoie sont un moyen de ne pas oublier leur visage. Les hommes qui partent ne laissant derrière eux personne à qui écrire ou ceux coupés de tous liens avec leurs proches pour divers raisons pourront trouver en la personne de la marraine de guerre quelqu’un à qui écrire et se confier. Ces femmes leur apporteront un grand soutien, elles pourront même leur envoyer des colis et à partir de 1916 les recevoir en permission, de ces échanges naitront de vrai liens affectifs dont certains se solderont par un mariage après la guerre. 

Afin de rassurer Louise il précisera souvent qu’il est « en bonne santé », qu’il ne l’oubliera jamais et qu’il l’a « désire ». Mais toutes les familles ne reçoivent pas forcément des nouvelles régulières, certaines sont des semaines voir des mois sans nouvelles et un jour une lettre arrive de nouveau mais dans d’autres cas c’est un acte de décès que les familles reçoivent. « Il y a un frère de un de mes camarades qui a été 3 mois sans écrire, il le croyait aussi eux mort et il a écrit l’autre jour, il y en a plusieurs comme ça… » (lettre du 30 mars 1915) La mère de Louis est sans nouvelles de son autre fils Pierre, « elle doit être bien en chagrin… mais faut pas se désespérer avant de voir peut être qu’il est prisonnier ou qu’il ne peut pas écrire, il y en a bien d’autre que sont plus longtemps sans nouvelles et qui en reçoivent… » (lettre du 31 mars 2015) Mais Pierre ne reviendra pas du front il sera tué en mars 1915 à Mesnil les Hurlus à l’âge de 27 ans. Pour les soldats le temps se fait long, leur famille leur manque tous les jours et les permissions sont rares. Louis n’en aura pas beaucoup durant les 4 ans qu’il sera parti, il en parle régulièrement dans ses lettres. « Si j’avais eu seulement 4 jours de permission j’aurais pu en couper un peu. Je ne suis pas prêt d’y aller … mais on dit que les premiers vont partir mercredi prochain 4 août, il doit en partir 3 tous les jours ça n’ira pas vite sur 300 qu’on est dans la batterie… Voila un an qu’on a pas vu sa chère petite famille sa nous semble un peu trop long » (lettre du 29 juillet 1915). Le 13 août 1915 il ne sait toujours pas quand viendra son tour pour une permission. Le 16 octobre 1915 « ce n’est pas encore mon tour j’irai sans doute aussi moi mais quand je n’en sais rien… ». Le 13 janvier 1916 « voilà bientôt 18 mois » qu’il n’a pas vu sa famille. Enfin à la fin février ou début mars 1916 il a eu sa permission, il a retrouvé les siens mais pour peu de temps. A son retour il faudra attendre encore de nombreux mois pour revoir les siens. Les permissions sont rares et courtes, et les soldats qui retournent dans leur famille sont souvent désagréablement surpris : à l'arrière, on ne connaît rien de leur vie au front. Les poilus s'emportent contre les « embusqués », les « planqués » qui sont parvenus à éviter le combat par des intrigues. « Je vois tout le monde s’habituer à la guerre et il se moque pas mal de ceux qui y sont mais nous autres un ne s’y habitue pas si facilement que ça. Je voudrais bien voir ceux qui en mettent tant dans leurs poches y venir faire un tour, ils ne craneraient pas tant comme ils le font en ce moment. C’est ce que je m’étais apperçu un peu en permission sur les raisonnements de plusieurs qui n’ont aucun des leurs aux dangers, ils pensent en eux, la guerre peut durée pendant ce temps là l’on vend tout moitié plus cher qu’en temps de paix. » (lettre du 6 mars 1916) « quel chance tout de même ceux qui sont restés ils ne pensent guère aux autres… » (lettre du 23 octobre 1916)

Tout au long de cette guerre les soldats français ne mangeront pas forcément à leur faim contrairement aux soldats britanniques mieux lotis de ce cotés là. « Tu me demandes si l’on est bien nourrit dans la ferme où nous allons, il y a des jours pour ça il y a d’autres que c’est maigre un peu, beaucoup de beurre à tous les repas et comme boissons de la boitte comme on fait chez nous, ça ne donne guère de force le vin… » (lettre du 30 mars 1915) Grace aux colis que leur famille leur feront parvenir, les petites douceurs de leur régions amélioreront leur quotidien. « J’ai reçu ton colis… il y avait du beurre et du pâté, le beurre est encore bon mais le pâté n’est pas fameux, il était à moitié perdu…Quand tu me renverras quelque chose, envoi moi du beurre c’est ça qui se conserve le mieux et qui fait le plus de bénéfice et qu’on aime le mieux » (lettre du 21 mars 1916). Les colis mettant plus ou moins longtemps à venir certaines des denrées périssables n’étaient plus comestibles une fois que Louis recevait ses colis. Louis tout au long de sa correspondance avec Louise lui réclamera du beurre car il semble cher sur le front « j’en vois qui en achète aux environs de 5fr la livre, il n’est pas bon marché. » (lettre du 25 août 1916) Certains recevaient aussi des conserves ou des boites de biscuits et les colis étaient parfois complétés de nécessaire de toilette ou de vêtements comme « des gilets de peau » et « des chaussettes » (lettre du 10 mai 1915)

Sources divers :
Archives départementales de Loire Atlantique
Archives Nationales
Bibliothèque Nationale de France
Tapuscrit École de l’Artillerie-transcription intégrale- Franck MUNT AOR 66-2015- Historique du 2ème RAC
Correspondances de guerre d’un poilu entre sa femme et lui